La dimension religieuse du Réarmement moral

Audrey Bonvin / © Keren Bisaz
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Audrey Bonvin
© Keren Bisaz

La dimension religieuse du Réarmement moral

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C’est une première: une partie des archives du mouvement conservateur basé au Caux Palace a été explorée. La chercheuse fribourgeoise Audrey Bonvin a mis au jour, entre autres, ses racines protestantes.

Un travail de titan: en 2021, Audrey Bonvin soutient une thèse en histoire à l’Université de Fribourg sur les mutations et l’institutionnalisation du Réarmement moral (RAM), mouvement idéologique politico-religieux né aux Etats-Unis dans les années 1920 et implanté en Suisse dès 1935. Elle a accès aux archives suisses du mouvement – versées par l’institution auprès de l’Etat de Vaud –, mais aussi à l’étranger, et confronte ces éléments aux documents et témoignages de «figures de légitimité» du mouvement (anciens membres, sympathisants, politiciens, entrepreneurs…). En 2024, elle publie un ouvrage qui reprend l’essentiel de ce travail, complété par des dimensions qu’elle a approfondies: les origines religieuses du RAM et ses sympathies avec l’extrême droite dans les années 1930.

Quelle est l’identité religieuse du RAM? 

Ses origines sont protestantes. On peut parler de melting-pot de théologies évangéliques. Frank Buchman (1878-1961), son fondateur américain, a grandi dans un groupe proche des quakers, les schwenkfelders, adeptes d’une pratique religieuse personnelle: ses membres ajoutent à la lecture de la Bible le concept de l’inner light, perçue comme un lien direct avec le Saint-Esprit. Formé comme pasteur luthérien, nourri entre autres d’écrits d’un pasteur baptiste, d’enseignements de l’évangéliste méthodiste John Raleigh Mott (1865-1955), il voyage en Asie comme missionnaire au sein des YMCA (Union chrétienne de jeunes gens), s’inspire des méthodes de recrutement de l’Armée du Salut – mais vise d’abord les jeunes issus des classes aisées… Toutes ces influences ne sont jamais citées par Frank Buchman. Ce qui contribue, à tort, à faire passer le Réarmement moral pour quelque chose de nouveau et d’unique à son époque. Au fil du temps, l’influence qui domine reste le méthodisme rigoureux, la doctrine d’une «perfection» chrétienne. Elle s’oppose alors à nombre de courants réformés. Le refus de consommer des boissons alcoolisées et, surtout, l’abstinence (sexuelle) sont au premier plan.

Quels sont ses liens avec la politique? 

Religion et politique sont liées car le mouvement, qui peut être compris comme un personnalisme de droite, a une volonté de changement de la société. Ses racines religieuses nourrissent une vision du monde. Les crises économique, sociale, politique sont relues à travers un prisme, une idéologie qui se veut une «troisième voie» entre communisme et capitalisme. Dans les faits, le RAM récolte des soutiens de politiciens de droite, développe un anticommunisme persistant et exclut les non-croyants et les homosexuels. Une crispation conservatrice qui, dans les années 1970, contribuera à son déclin, la société ayant évolué. A noter que dans les années 1930, certains de ses acteurs, dans un contexte particulier, manifestent une sympathie pour l’extrême droite.

La spiritualité intérieure reste centrale au sein du mouvement.

Et aujourd’hui, que reste-t-il de cette part religieuse? 

Le mouvement a réalisé une importante démarche de questionnement et de transparence en 2001. Il s’est ouvert au dialogue interreligieux, aux personnes sans religion… et aux chercheurs! Le christianisme a disparu des statuts, la dimension conservatrice aussi. Dans l’association Initiatives et Changement, héritière du RAM, la spiritualité intérieure – religieuse ou non – reste cependant centrale.

La recherche

L’Utopie conservatrice du Réarmement moral, Audrey Bonvin, Alphil Histoire, 2024, 436 p.