Après la «révolution protestante», les Allemands ont tourné le dos à l’Eglise

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Après la «révolution protestante», les Allemands ont tourné le dos à l’Eglise

8 novembre 2009
Chute du Mur • Lieux de ralliement de la contestation en 1989, les églises protestantes ont été désertées après la réunification. Une grande déception pour les pasteurs engagés.

Par Tania Buri

Les images de l'automne 1989 sont encore vivantes: des centaines de milliers de personnes s’étaient rassemblées dans et aux abords des églises protestantes à Leipzig, Dresde et Berlin. Après avoir participé aux «Prières pour la paix», les manifestants étaient descendus en masse dans les rues. Face à un tel élan, il est difficile de comprendre que les églises allemandes aient pu ensuite se vider, alors que d'autres pays ont vu, après la fin du communisme, le retour des religions.

En 1989, les églises de toute la République démocratique d'Allemagne (RDA) étaient devenues le point de ralliement des jeunes et groupements désireux de réformer ou renverser le régime. Des pasteurs ont ensuite fait partie du premier gouvernement élu après la chute du Mur, avant la réunification qui interviendra onze mois plus tard. Les espoirs soulevés étaient immenses.

Hospitalité des pasteurs

«Ce qui s’est passé pendant la période qui a précédé la chute du Mur n'a pas directement à voir avec la foi religieuse», explique le professeur Heinz Wismann, qui a dirigé l'Institut protestant de recherche interdisciplinaire de Heidelberg. «Les églises étaient les lieux de rassemblement. Les pasteurs offraient simplement leur hospitalité à ceux qui voulaient discuter. Ce qui fait que les foules, qui se sont trouvées à ce moment-là à l'intérieur des églises, n'étaient pas nécessairement des croyants.»

Les opposants se sont rassemblés dans les églises, mais la plupart sans aucun lien avec la foi, renchérit Solange Wydmusch, sociologue des religions à Berlin. S’ils se sont rapprochés des églises, c’est qu’elles offraient l'un des seuls lieux de liberté de parole. Ce sont d'ailleurs dans les églises que les critiques contre la Stasi, la police secrète, ont commencé, affirme-t-elle.

Si les pasteurs et les groupes de contestation travaillaient depuis des années à formuler des propositions pour transformer la RDA, pratiquement personne ne s'attendait ni à une chute du Mur aussi rapide, ni à une imposition du système occidental aussi unilatérale. Les utopies de ces groupes ont été rapidement balayées.

«Paradoxe profond»

«Après la chute du Mur, énormément de pasteurs croyaient avoir une sorte de mission, qui leur aurait permis de se substituer au Parti communiste», poursuit M. Wismann. «Nombre d'entre eux ont été déçus, parce que leur rêve d'un monde meilleur, qui devait prendre le relais de l'utopie communiste qui s'était transformée en dictature, a été brutalement anéanti.»

Selon le professeur, les  pasteurs ont été très rapidement perçus – et de façon très paradoxale – comme «des anciens du système», alors qu'ils avaient favorisé les mouvements de contestation: «N'étant pas du tout intéressés à la société de consommation occidentale, ils se sont trouvés très vite isolés une fois le Mur ouvert et la parité du Mark offerte, alors que la population se ruait à l’Ouest pour consommer. C’est qu’en développant dans leurs sermons et interventions publiques l'idée qu'ils se faisaient d'un pays conforme à leurs convictions religieuses, ils rappelaient trop le prêche communiste: là est le paradoxe profond.»

«Folie consumériste»

Hildegarde Ruggenstein, une pasteure de RDA, a vécu cette déception. Elle était engagée dans les mouvements de contestation à Potsdam, une ville située à quelques kilomètres de Berlin.
«J'ai été très choquée par la folie consumériste qui a suivi le 9 novembre. Deux jours après, un bus à deux étages couvert de publicités, que je n'avais vues qu'à la télévision jusque-là, se trouvait déjà devant notre maison. Pareil débarquement faisait mal à voir. C'était comme une manifestation non-politique, alors que nous avions organisé tant de manifestations politiques jusque-là», raconte la pasteur.

Et d’ajouter: «Les gens qui s'étaient engagés jusqu'à la chute du Mur se sont mis à courir comme des ivrognes à Berlin-Ouest. Ils rentraient le soir les bras chargés de sacs remplis de provisions achetées chez Aldi ou dans d'autres supermarchés. En un nuit, ils avaient perdu toute conscience politique.»


L'athéisme antérieur au communisme


Aujourd'hui, dans certains quartiers de Berlin-Est ou dans d'anciens Länder de l'Est, le pourcentage de protestants ne dépasse pas 10%. Pour le théologien est-allemand Wolf Kroetke, les quarante ans de socialisme qu'a vécus la RDA n'expliquent pas à eux-seuls la sécularisation de la population.

«Vous devez comprendre que l'athéisme en RDA n'a pas grand chose à voir avec le socialisme», explique le théologien, incarcéré pendant 18 mois pour motifs politiques pendant ses études.

Il explique: «Les populations des régions industrielles du centre de l'Allemagne ont perdu tout lien avec le christianisme déjà avant le Reich allemand et la république de Weimar. La tradition chrétienne a été interrompue de telle manière que la parenthèse de la chute du Mur, avec une présence marquée des Eglises, relevait d'un monde «étranger» pour ces populations. C’était très beau quand nous chantions «Dona nobis pacem» ou quand les pasteurs prêchaient, mais cela n'a pas eu pour effet de convertir les foules. Et ce n'était d’ailleurs pas non plus le but recherché.»

L'athéisme en ex-RDA, comme en Tchéquie, tranche avec la situation qui prévaut dans d’autres pays de l'ex-bloc communiste. «En Pologne, par exemple, être Polonais signifie être catholique. C'est un lien impossible pour les Allemands de ma génération», souligne M. Kroetke. Pour lui, le catholicisme polonais est sorti intact de la période communisme.
TB/ProtestInfoPasteurs engagés

Après la chute du mur, plusieurs pasteurs sont entrés dans le gouvernement de transition de Lothar de Maizière, dernier premier ministre de la RDA du 12 avril au 2 octobre 1990, après les premières élections libres. Les pasteurs ont également été propulsés à la tête de «tables-rondes», à l'instar du pasteur Johannes Gauck, responsable de la commission de dissolution de la Stasi.

Si politiquement, le système de l'Ouest l'a emporté, cela a aussi été le cas pour les Eglises. «Elles se sont faites annexer de la même manière que l'Etat», considère la sociologue Solange Wydmusch, sociologue des religions à Berlin. L'Eglise a d'ailleurs changé de rôle. Les idées de protestation ont été perdues en route, juge-t-elle.

Le changement pour les Eglises protestantes a été radical. D'une Eglise de militants, elle a endossé le costume d'une Eglise d'Etat, financée par l'impôt. «Ceci a aussi joué un rôle dans la défection des cultes», selon elle. Du jour au lendemain aussi, les pasteurs ont changé de statut.

Tandis qu'ils faisaient partie de la  marge, ils se sont retrouvés propulsés au sein de l'«establishment» avec des salaires supérieurs au reste de la population. Après la réunification, les Eglises on retrouvé leur rôle traditionnel dans une société largement sécularisée. TB/ProtestInfoA écouter:

Les émissions «Hautes Fréquences», le 8 novembre à 20h sur RSR1, et «A Vue d'esprit», du 9 au 13 novembre à 16h30 sur Espace 2, seront consacrée au rôle de l’Eglise protestante dans la chute du Mur.A lire:

Les textes que vous venez de lire ont été publiés le samedi 7 novembre dans les quotidiens "La Liberté" et partiellement dans "Le Courrier".