Gaza: la prudence des Eglises suisses

Alors que des voix chrétiennes palestiniennes dénoncent le silence des Églises occidentales sur la guerre à Gaza, les institutions réformées de Suisse romande communiquent prudemment, malgré les demandes répétées de paroissiens. / Keystone
i
Alors que des voix chrétiennes palestiniennes dénoncent le silence des Églises occidentales sur la guerre à Gaza, les institutions réformées de Suisse romande communiquent prudemment, malgré les demandes répétées de paroissiens.
Keystone

Gaza: la prudence des Eglises suisses

13 février 2025
Alors que des voix chrétiennes palestiniennes dénoncent le silence des Églises occidentales sur la guerre à Gaza, les institutions réformées de Suisse romande communiquent prudemment, malgré les demandes répétées de paroissiens.

«Les Palestiniens ont besoin de plus que des prières pour la paix», déclarait Munther Isaac le mois dernier à l'AFP. Pour ce pasteur luthérien actif à Bethléem, l'absence d'un engagement clair pour un cessez-le-feu à Gaza de la part des Églises occidentales aurait traduit un «silence complice» vis-à-vis du gouvernement israélien. En Suisse romande, la plupart des Églises affirment cependant ne pas se sentir compétentes pour prendre clairement position sur le conflit. Elles n’ont en effet que très peu fait entendre leur voix, certaines d’entres elles ayant toutefois condamné l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 et appelé à la paix. Dans ce contexte, l’Eglise réformée neuchâteloise (EREN) vient de produire un communiqué, diffusé ce 28 janvier sur son site et les réseaux sociaux. Un texte qui sollicite un engagement général «pour la paix et la justice». Il a été écrit suite aux demandes d’un groupe de paroissiens. 

Contacté, le pasteur Yves Bourquin, président de l’EREN, explique le choix «certes tardif» de publier ce communiqué: «Jusqu’ici, nous avons relayé les positions de notre faîtière. Mais l’insatisfaction d’un grand nombre de nos fidèles face à l’absence d’une position claire nous a décidés à prendre position en tant qu’Eglise cantonale avec ce texte.» Une déclaration dont le contenu reste «dérisoire» selon le groupe en question: «Appeler à la paix est une évidence, mais en tant que chrétiens, nous nous devons de condamner la destruction massive opérée à Gaza, surtout quand Israël justifie sa guerre théologiquement», déclare Fabrice Vust, paroissien co-auteur de ces interpellations. Et de contester «l’idée revendiquée par certains Israéliens proches du pouvoir selon laquelle le territoire de Palestine aurait été donné par Dieu aux juifs en tant qu’uniques héritiers d’Abraham». 

Pour ou contre

Interpellée, Rita Famos, présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS), indique s’être «prononcée à plusieurs reprises contre l’instrumentalisation religieuse de la violence», en général. A propos du conflit au Proche-Orient, son institution ne prendra donc pas parti: «Cette situation est certes d’une grande portée émotionnelle, mais une prise de position pour ou contre l’une ou l’autre de ses parties ne rendrait pas justice à la complexité du conflit.» Une position partagée par l’ancien conseiller d’Etat Philippe Leuba, actuel membre du Conseil synodal de l’Eglise réformée vaudoise (EERV): «Nous n’avons pas la prétention de nous ériger en tribunal de l’Inquisition qui, depuis Lausanne, prononcerait des condamnations à l’emporte-pièce à propos d’un conflit d’une rare complexité. Les appels à la paix permettent de mettre équitablement les deux belligérants face à leurs responsabilités.»

Dès lors, pourquoi l’EERV et l'EERS ont-elles condamné le Hamas par voie de communiqué? «Parce que ses attaques relèvent sans nul doute du terrorisme et sont d’ailleurs à l’origine de la volonté du Conseil fédéral d’interdire cette organisation au motif de sa nature terroriste», explique Philippe Leuba. Il met aussi en avant «la nécessité de préserver la cohésion sociale en Suisse» et ajoute que «juifs et musulmans ne font pas toujours une distinction aussi nette que les chrétiens entre le politique et le religieux». Même volonté chez Rita Famos: «L’EERS souhaite développer avec les autres communautés religieuses des liens qui contribuent à la paix religieuse de notre pays.»

Pour autant, selon le pasteur vaudois Pierre Farron, président du Mouvement chrétien citoyen, «la violence israélienne doit clairement être condamnée, et pas seulement le Hamas. Les Eglises devraient interpeller le Conseil fédéral pour qu’il s’engage activement en faveur de la protection de toutes les populations civiles de cette région et de négociations de paix.» Il a d’ailleurs adressé une demande en ce sens à l’EERS et à la Conférence des évêques suisses (CES). Il déplore «le manque de courage désolant des protestants» mais salue «la clarté des catholiques». Dans son courrier rendu public par l’association, la CES reconnaît une «recrudescence progressive et de plus en plus violente de la réaction militaire d’Israël» face à l’attaque «inouïe et atroce perpétrée par le Hamas». 

Une dette envers les juifs

A Genève en revanche, «il n’y a pas eu de prise de parole publique sur le sujet» de la part de l’Eglise protestante (EPG), renseigne Flore Brannon, responsable de la communication de l’institution religieuse, où l'on réfléchit actuellement à mieux contrôler toute déclaration publique. Malgré l’interpellation d’un groupe de paroissiens qui voulaient voir leur Eglises tenir une parole forte, il a été décidé d’agir «par des temps de prière pour la paix, le thème de la paix étant régulièrement abordé lors de prédications données dans les lieux de culte protestants de Genève». Pas suffisant pour ces paroissiens, dont fait partie le diacre retraité Maurice Gardiol: «Il est triste qu’une institution comme l’EPG ait réagi aussi tard, sous la pression exercée par une partie de sa base et aussi timidement». Selon lui, «un constat plus explicite du conflit aurait été apprécié.»

Sur le site de l’EPG, un billet du théologien français Jean-Yves Rémond enjoint pourtant les milieux ecclésiaux à s’engager politiquement. «Toute Eglise qui se dit chrétienne reçoit naturellement, par l’exemple et les paroles du Christ, la légitimation de ses engagements, qui ne sont dès lors plus un choix, mais une obligation», mentionne son article. Contacté, il dit se féliciter qu’en France, «la plupart des Eglises condamnent désormais les différentes parties du conflit, en dénonçant les actes de barbarie commis de part et d’autre». Il comprend néanmoins la réticence des Églises réformées de Suisse à dénoncer les frappes israéliennes: «Bien qu'il ne faille pas confondre les juifs et le gouvernement israélien, la prudence des Églises découle à mon sens de liens historiques: les chrétiens sont les héritiers du judaïsme et gèrent comme ils le peuvent la dette qu'ils ont envers les juifs.»