«En 2025, 98% des contenus des réseaux sociaux seront de la désinformation»

©Mathieu Paillard
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©Mathieu Paillard

«En 2025, 98% des contenus des réseaux sociaux seront de la désinformation»

Marcel Burger
Les réseaux sociaux ont transformé notre manière de communiquer et de parler. Or, le phénomène pourrait bien s’accentuer.

Quelles sont les principales caractéristiques des réseaux sociaux qui sont susceptibles de transformer notre langage? 

D’une part, leur très grande accessibilité permet de partager des contenus avec des instances de partout. On retrouve l’idée de l’échange, de former des communautés. Deuxièmement, les réseaux sociaux sont caractérisés par une capacité d’amplification sans égale sur le plan technologique. Et finalement, sur le plan psychologique, ils favorisent une forme de désinhibition, puisqu’on est en lien immédiat avec tout le monde, sans être face à face. Cela libère les impulsions des uns et des autres.

Mark Zuckerberg, dirigeant de Facebook, a annoncé qu’il allait assouplir la modération sur sa plateforme. Le propriétaire de X, Elon Musk, assume sa proximité avec la ligne du président Trump. Quelle conséquence sur notre langage? 

Sur le versant de ceux qui maîtrisent les plateformes, on s’attend à un phénomène: la propagation massive de messages de désinformation, qui cherchent à influencer, voire à manipuler, les utilisateurs. Des études estiment que 2025 sera l’année où 98% des contenus sur les réseaux sociaux seront désinformants ou manipulatoires. 

La brutalité et la vulgarité dominent dans notre culture de communication.

Est-ce que cela entraîne plus de violence dans les propos? 

Oui. Je mentionnais plus tôt la désinhibition sur les réseaux; elle favorise la haine communicative. Depuis une dizaine d’années, et dans pratiquement toutes les sociétés, nous sommes dans une culture de communication où la brutalité et la vulgarité dominent. Les réseaux sociaux sont une cause, mais il y en a d’autres. Dans la plupart des sociétés, un rapport individualiste à la communauté domine. L’individu se donne une autorité, il s’autorise à critiquer les autres opinions et à mettre la sienne en avant. D’autre part, comme tout va très vite, on n’a pas trop le temps de réfléchir à ce que l’on pense. On a raison et on le dit selon des modalités simplistes. 

Sur le plan linguistique, est-ce que l’on parle différemment au quotidien? 

Probablement que l’on parle en abrégé. Sur X, par exemple, il y a une limitation du nombre de caractères pour les messages à envoyer. On tend donc à privilégier les structures simplistes et rabotées. Ce n’est pas un jugement, mais un effet que j’observe. Aussi, ces messages du numérique sont supposés gagner en visibilité par rapport à l’algorithme, et on choisit les formules spectaculaires pour être mis en avant. Cela participe à la culture agressive que j’évoquais, où l’on ne formule pas les choses poliment. Et si l’on est en phase avec la culture dominante, c’est encore plus frappant. 

Dans son livre 1984, Orwell imaginait un monde futur où les gens parlent une novlangue dont les termes sont vidés de leur sens. S’est-il trompé ou en prend-on le chemin? 

C’est compliqué. D’une manière générale, quand vous avez des contraintes fortes sur la communication, les technologiques et idéologiques, cela va nécessairement contribuer à établir une langue standardisée. J’ajoute une autre observation, que l’on peut faire au quotidien depuis le déclenchement des hostilités au Proche-Orient: il n’y a plus de socle définitoire des mots, comme un dictionnaire le ferait. Les instances au pouvoir, comme un président élu ou un collège gouvernemental, s’autorisent à redéfinir des mots comme «antisémite» ou «terrorisme» selon ce qui les arrange. C’est la posture la plus autoritaire à laquelle on ait été confrontés depuis très longtemps. Selon moi, nous sommes dans le creux de la vague après que des raz-de-marée ont déferlé et bousculé les fondations de beaucoup de choses.

Marcel Burger est directeur du Centre de linguistique et de sciences du langage à l’Université de Lausanne.